Le vieil arbre et les hommes...
Né des profondeurs du temps, le vieux chêne cauchois doit sa célébrité autant à son exceptionnelle longévité qu’à la vénération dont il a fait l’objet depuis le Moyen-âge.
Aujourd’hui encore, ce monument singulier du patrimoine cauchois cristallise toutes les attentions.
Le vieil arbre que l’on peut tenir pour le plus surprenant de France est bien ce chêne normand qui fait l’orgueil d’une commune, Allouville-Bellefosse en pays de caux. Cet arbre en effet, mérite plus que le respect à bien des égards, il force l’admiration.
Probablement contemporain de Charlemagne, le chêne d’Allouville, alors fringant jeune homme, a, selon toute vraisemblance, vu défiler sous sa frondaison les troupes de Guillaume le Conquérant en marche vers l’Angleterre. Celui qui devint duc de Normandie en 1035 aurait même fait halte à son pied.
Le moyen age s’achève. Notre arbre est toujours la, plus majestueux que jamais. On le retrouve à la fin du XVIIe siècle.
On rapporte alors qu’il fait l’objet d’une telle dévotion que le curé du village, l’abbé Détroit entend le sanctifier en aménageant en son cœur une chapelle dédiée à notre dame de la paix, ainsi qu’une cellule d’ermite destinée à l’un de ses amis.
C’est que notre chêne, avec le temps, est devenu creux ! si creux qu’une quarantaine de bambins à qui l’on avait promis obole auraient réussi à s’entasser dans sa cavité.
Ainsi en 1696, la vierge eut son sanctuaire. Le chêne devint monument religieux.
Cette sacralisation faillit, près d’un siècle plus tard, avoir raison du chêne d’Allouville. Désormais symbole du pouvoir clérical abhorré, le chêne chapelle fut en 1793, la cible d’une foule révolutionnaire en liesse bien décidé à le brûler. Voyant le vent tourner, l’instituteur du village, Jean Baptiste Bonheure, rebaptisa en toute hâte le chêne « temple de la raison » en apposant un écriteau en lieu et place de l’ancien qui le condamnait.
Clin d’oeil de l’histoire, après ces évenements rageurs, il n’aura suffit au vieux chêne qu’un demi-siècle pour redorer son blason aux yeux des plus hautes instances du pouvoir laïque en place.
Témoin de ce retour en grâce, une statue de la vièrge en bois doré fut offerte au chêne par l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. A la crainte des pilleurs de notre temps cette pièce est en sureté à la sacristie de l’église Saint-Quentin d’Allouville.
L’aspect de cet arbre excite un intérêt encore plus grand peut-être que celui des édifices que nous ont légués les peuples éteints. Il nous semble qu’il y a réellement quelque chose de plus éloquent dans cette végétation sans cesse renaissante qui a vu tant de fosses se fermer et s’ouvrir, dans cette écorce vive qui palpite sous le doigt, que dans les pierres muettes et froides des vieux temples ; et nous ne connaissons pas d’historien qui nous ait plus touché que la tradition humble et pieuse qui raconte aux voyageurs les rois, les guerriers, qui se sont reposés contre ce tronc antique, les troubadours qui l’ont chanté, ou les orages qui l’ont frappé sans le consumer jamais.
On a déjà écrit des notions savantes, des mémoires curieux sur le chêne d’Allouville ; mais rien ne peut tenir lieu des récits naïfs des villageois et de quelques minutes de méditation au seuil de la chapelle.